Objet d’étude : La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle
Œuvre : Rabelais, Gargantua, chapitres XI à XXIV – Parcours : La bonne éducation
Texte d’Alain, Propos sur l’éducation, 1932
Contraction de texte
Vous résumerez ce texte en 185 mots. Une tolérance de ± 10 % est admise : votre travail comptera au moins 166 mots et au plus 204 mots.
Vous placerez un repère dans votre travail tous les 50 mots et indiquerez, à la fin de votre contraction, le nombre total de mots utilisés.
« Je ne crois pas trop à ces leçons amusantes qui sont comme la suite des jeux. […] La cloche ou le sifflet marquent la fin des jeux et le retour à un ordre plus sévère ; et la pratique enseigne qu’il n’y faut point un insensible passage, mais au contraire un total changement, et très marqué dans les apparences. L’attention est élevée d’un degré ; elle ne cherche plus alors quelque plaisir à lécher, comme font les chiens ; elle n’est plus gourmandise ; elle est privation, patience, attente qui regarde au-dessus de soi. L’attention du chien n’est pas l’attention.
Je n’ai pas beaucoup confiance dans ces jardins d’enfants et autres inventions au moyen desquelles on veut instruire en amusant. La méthode n’est déjà pas excellente pour les hommes. Je pourrais citer des gens qui passent pour instruits, et qui s’ennuient à La Chartreuse de Parme ou au Lys dans la vallée1. Ils ne lisent que des œuvres de seconde valeur, où tout est disposé pour plaire au premier regard ; mais, en se livrant à des plaisirs faciles, ils perdent un plus haut plaisir qu’ils auraient conquis par un peu de courage et d’attention.
Il n’y a point d’expérience qui élève mieux un homme que la découverte d’un plaisir supérieur, qu’il aurait toujours ignoré s’il n’avait point pris d’abord un peu de peine. Montaigne est difficile ; c’est qu’il faut d’abord le connaître, s’y orienter, s’y retrouver ; ensuite seulement on le découvre. De même la géométrie par cartons assemblés2, cela peut plaire ; mais les problèmes plus rigoureux donnent aussi un plaisir bien plus vif. C’est ainsi que le plaisir de lire une œuvre au piano n’est nullement sensible dans les premières leçons ; il faut savoir s’ennuyer d’abord. C’est pourquoi vous ne pouvez faire goûter à l’enfant les sciences et les arts comme on goûte les fruits confits. L’homme se forme par la peine ; ses vrais plaisirs, il doit les gagner, il doit les mériter. Il doit donner avant de recevoir. C’est la loi.
Le métier d’amuseur est recherché et bien payé, et, dans le fond, secrètement méprisé. Que dire de ces plats journaux hebdomadaires, ornés d’images, où tous les arts et toutes les sciences sont mis à la portée du regard le plus distrait ? Voyages, radium, aéroplanes, politique, économie, médecine, biologie, on y cueille de tout ; et les auteurs ont enlevé toutes les épines. Ce maigre plaisir ennuie ; il donne un dégoût des choses de l’esprit, qui sont sévères d’abord, mais délicieuses. J’ai cité tout à l’heure deux romans qui ne sont guère lus. Que de plaisirs ignorés et que chacun pourrait se donner sous la condition d’un peu de courage ! J’ai entendu raconter qu’un enfant trop aimé, qui avait reçu un théâtre de Guignol pour ses étrennes, s’installait à l’orchestre3 comme un vieil abonné, pendant que sa mère se donnait bien du mal à faire marcher les personnages et à inventer des histoires. À ce régime, la pensée s’engraisse comme une volaille. J’aime mieux une pensée maigre, qui chasse son gibier.
Surtout aux enfants qui ont tant de fraîcheur, tant de force, tant de curiosité avide, je ne veux pas qu’on donne ainsi la noix épluchée. Tout l’art d’instruire est d’obtenir au contraire que l’enfant prenne de la peine et se hausse à l’état d’homme. Ce n’est pas l’ambition qui manque ici ; l’ambition est le ressort de l’esprit enfant. L’enfance est un état paradoxal où l’on sent qu’on ne peut rester ; la croissance accélère impérieusement ce mouvement de se dépasser, qui, dans la suite, ne se ralentira que trop. L’homme fait4 doit se dire qu’il est en un sens moins raisonnable et moins sérieux que l’enfant. Sans doute il y a une frivolité de l’enfant, un besoin de mouvement et de bruit ; c’est la part des jeux ; mais il faut aussi que l’enfant se sente grandir, lorsqu’il passe du jeu au travail. Ce beau passage, bien loin de le rendre insensible, je le voudrais marqué et solennel. L’enfant vous sera reconnaissant de l’avoir forcé ; il vous méprisera de l’avoir flatté. »
(740 mots)
1. La Chartreuse de Parme, Le Lys dans la vallée : romans de Stendhal et de Balzac. 2. Par cartons assemblés : par manipulation de feuilles de carton. 3. S’installait à l’orchestre : s’installait en spectateur devant ce théâtre de marionnettes. 4. L’homme fait : l’homme mûr.
Essai
Alain écrit : « Tout l’art d’instruire est que l’enfant prenne de la peine ». Qu’en pensez-vous ?
Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question, en prenant appui sur Gargantua de Rabelais, sur le texte de l’exercice de la contraction et sur ceux que vous avez étudiés dans le cadre de l’objet d’étude « La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.
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